Monde : Canon
Genre : Angst, Amitié
Personnages : Lexaeus, Zexion, Demyx
Statut : en cours (la suite et fin ne devrait pas tarder)
Disclaimer : rien à moi et tout et tout
Rating : T
Résumé : Pas de coeurs, des êtres sans but. C'était ce qu'on avait dit à Lexaeus à sa "naissance". Il se contentait de les observer, ces fantômes sans émotions qui lui ressemblaient, puisqu'il ne savait faire que cela. Et il réfléchissait.
Bêta-lecture : Fexatsyn Miroï
ici pour commenter =)Silence & Sacrifice
- Numéro V.
Il n'eut pas l'impression de commencer à vivre. Il ne ressentit rien, ou pas grand-chose, peut-être un ersatz d'émotion flottant encore dans l'air. Un certain effarement, très brièvement, pas d'avantage.
Il n'eut pas l'impression de commencer à vivre, comme une continuité dont on aurait juste effacé la première page. Une ligne de temps toute blanche, et puis soudain la vie.
Il n'eut pas l'impression de commencer à vivre, mais il « vivait ». Le terme lui semblait déplacé, mais il ne voyait que cette explication à sa conscience du monde qui tournait autour de lui. Il sentait le sol dur et froid sous son corps, le reconnaissait sans pouvoir le replacer dans son contexte. Il entendait les autres se lever sans vraiment apercevoir autre chose, de là où il était étendu, qu'un pied et une blouse blanche.
Les autres. Il éprouva une vague sensation de familiarité en y pensant, mais toujours ce flash blanc là où auraient dû se trouver des souvenirs. Il songea qu'il aurait dû éprouver une certaine curiosité. Plus par instinct qu'autre chose, il imita les personnes à ses côtés et se leva à son tour.
Il parvint à mettre un nom sur les visages qui l'entouraient. Ienzo, Even, Braig, Dilan… Xehanort. Dans sa poitrine, le vide. Mais soudain il se souvenait de quelque chose.
Aeleus avait été entraîné là-dedans par les autres, avait désobéi à Ansem le Sage tout autant qu'eux, à moitié par curiosité mal placée, à moitié pour les surveiller et veiller à ce qui ne leur arrive rien de fâcheux. Et le résultat…
Ils étaient morts, les uns après les autres. Il avait vu plusieurs de ses camarades tomber avant de perdre lui-même conscience.
Mais s'il était Aeleus, alors pourquoi vivait-il ?
Non.
Son regard s'attarda sur un reflet dans la vitre qui devait être le sien, qu'il reconnaissait comme étant Aeleus et le dévisageait de ses yeux graves, neutres. Sauf qu'Aeleus avait péri dans ces expériences. Ils auraient dû écouter leur professeur…
Il n'eut pas l'impression de commencer à vivre, et pourtant, il n'existait pas auparavant.
Cette constatation n'arracha pas l'ombre de quelque chose dans son… quoi, au juste ? Dans son « coeur »… ? Il fronça les sourcils, porta consciemment une main à sa poitrine.
Ils travaillaient sur les pouvoirs du coeur, quand tout à coup l'un d'entre eux...
Son attention se tourna vers les cinq autres apprentis d'Ansem, ou du moins ce qui demeurait d'eux après leur mort. De nouveaux êtres, comme lui. Et parmi eux, le seul qui ne semblait pas désorienté par la situation – à supposer que des coquilles vides puissent l'être, désorientés.
L'homme qui se tenait dans l'ombre, habillé d'un étrange manteau noir, considérait ses comparses en souriant sans joie, sans que l'ombre d'une émotion ne traverse son visage froid.
« Xehanort... »
L'intéressé se tourna vers lui. Il se souvint alors des dernières paroles prononcées par ce dernier avant que tout ne vire au chaos pour les apprentis. Mon nom est… Ansem. Alors il avait bel et bien perdu l'esprit…
Aeleus et ses amis sont morts, mais je ne suis pas Aeleus. Je suis ce qui subsiste.
« Non. » fit calmement ce qui restait de Xehanort.
Tout aussi tranquillement, il s'avança vers les êtres tout nouvellement créées. D'un ample mouvement du bras, il fit apparaître d'immenses lettres qui flottèrent dans les airs, inscrivant le nom de leur maître.
ANSEM.
Un X vint s'y mêler, puis les images se mêlèrent, à toute vitesse, pour finir par former un tout nouveau nom.
XEMNAS.
Ainsi nommé, l'usurpateur prit la parole, l'air supérieur.
« C'est une nouvelle ère, mes amis. Ou plutôt devrais-je dire, mes camarades. Les Simili ne connaissent pas de choses telles que l'amitié.
-Des Simili… répéta lentement ce qui restait d'Ienzo. C'est ce que nous sommes ? »
Le reste d'Aeleus se tourna vers lui. Ienzo… Le plus jeune d'entre eux, un enfant d'une dizaine d'années, le petit protégé d'Ansem – le véritable Ansem. Aeleus s'était toujours fait un devoir de veiller sur lui.
Mort, à présent. Il n'en restait qu'une coquille vide, avec son apparence et des yeux vides, une expression trop figée pour un visage d'enfant. Cela plus que tout autre chose aurait dû lui briser le coeur… S'il en avait eu un.
Xemnas hocha la tête.
« Vous n'avez plus rien en commun avec ceux que vous étiez autrefois. De tout nouveaux êtres.
-Ah, j'me disais bien que j'me sentais différent ! »
Le visage de Braig conservait son sourire arrogant, sa voix gardait ses intonations insultantes, mais quelque chose, quelque part, sonnait faux.
De nouveaux êtres, sans coeurs, comprit-t-il. A quoi bon vivre, dans ce cas-là ? Il n'en éprouvait aucune envie. Pour ce qui importait, il resterait bien planté là, immobile, sans parler ni bouger, jusqu'à ce que mort s'ensuive – mais pouvaient-ils mourir, d'ailleurs ? Eux-mêmes étaient nés de la mort…
Xemnas leur accorda la réponse comme on apporterait de l'eau à des condamnés. Cela ne changerait rien à leur sort, mais l'apaiserait sans doute.
« Je peux vous donner un but. »
Tout ce qu'il fallait à ces corps sans vie, sans ambitions, en fin de compte. Une raison de continuer à bouger, à vivre, à faire « comme si ».
« Je peux vous donner un nom. »
Il s'avança vers chacun d'eux, un par un, avec ses lettres maudites, leur attribua un numéro et un nom, vague souvenir de leur vie passée.
Xigbar.
Xaldin.
Vexen.
Puis vint son tour. Aeleus. Lexaeus. Ainsi donc, on le nommerait comme ça. Le Numéro V de l'Organisation XIII.
Zexion.
Xemnas leur raconta encore beaucoup de choses sur leur existence. Ils n'éprouvaient plus rien, mais pourraient retrouver un cœur s'ils le suivaient. Ils avaient des pouvoirs, un élément chacun et une arme, qu'ils devaient découvrir. Ils pouvaient voyager dans les entrechemins sans danger. Il existait un monde modelable au-delà de celui-ci, à la frontière de la Lumière et des Ténèbres. Ils s'installeraient là. Mais avant, ils devaient détruire leur ancien foyer, le plonger dans les ténèbres.
Lexaeus faillit demander pourquoi, mais la réponse ne l'intéressait pas tellement. Les autres feignaient des réactions, des mines surprises ou réjouies, protestaient parfois. Zexion hochait la tête, l'air pensif. Lexaeus ne faisait rien de tout cela.
Il se contentait de les observer avec la vague impression d'assister à un spectacle de marionnettes, à une vaste blague. Une pièce de théâtre où tout le monde jouait mollement le jeu sans trop y croire, une farce dont il ferait partie sans le vouloir. Il ne se rendit pas compte qu'il fronçait les sourcils d'un air désapprobateur, par habitude.
Ils obéirent à Xemnas sans broncher. Pourquoi pas, après tout, puisqu'ils n'avaient rien d'autre à faire de leur toute nouvelle existence ? Pourquoi pas, alors que leurs humains d'origines avaient obéis aveuglément à Xehanort, eux ?
Ce fut facile. Ils relâchèrent les Sans-coeurs produits lors de leurs funestes expériences et, pendant que Xemnas allait se charger de leur ancien Maître, les Simili descendaient dans la ville et s'assuraient que les Sans-Coeurs accédaient au cœur du monde pour que celui-ci soit détruit pour de bon.
Lexaeus observait son monde d'origine et tous ses habitants périr à petit feu. Du gâchis, sans doute de la pure cruauté de la part de leur nouveau Supérieur. Mais après tout encore une fois, pourquoi pas ? Quelle importance ?
Cela aurait dû en avoir.
Et Lexaeus chercha longtemps dans sa poitrine, dans le trou béant où aurait dû se trouver un coeur. Il chercha et ne trouva rien, ni pitié, ni tristesse, ni joie. Il chercha et ne trouva que des cendres. Il chercha longtemps, jusqu'à ce que Zexion ne lui signale qu'il fallait s'enfuir avant de sombrer avec le Jardin Radieux. Et ça aurait fait quoi, au juste, s'ils avaient sombré ? Ca le tentait presque de rester.
Puis vint Illusiopolis, cette contrée en marge des Ténèbres où Xemnas avait décidé qu'ils éliraient domicile. Comment l'avait-il découverte, cela restait un mystère. Aeleus aurait bien cherché à savoir, mais la question traversa l'esprit de Lexaeus pour en ressortir aussitôt.
Ils érigèrent leur Citadelle grâce à leurs pouvoirs à tous. Xemnas la fit surgir du Néant, aidé par le pouvoir sur l'Espace de Xigbar. Lexaeus lui-même se chargea de lui donner une solidité certaine grâce au pouvoir de la Terre. Cela lui parut si naturel de l'utiliser… Comme de respirer ou de marcher. Cela étant fait, Zexion le dissimula à la vue d'éventuels intrus à grand renforts d'illusions.
Elle n'était pas encore totalement finie, cette Citadelle, mais déjà d'une blancheur immaculée, imposante et sinistre. Elle ne rappelait l'ancien château du Jardin Radieux que par sa démesure. Il y avait bien plus de place que nécessaire à six personnes.
« Oh, mais nous serons bien plus que six » se contenta de répondre le Supérieur lorsque Vexen lui fit la remarque.
Des années plus tard, Lexaeus se dira que, même à treize, tant d'espace s'avérait inutile. La Citadelle aurait pu accueillir une armée, au minimum. Mais Xemnas appréciait beaucoup la démesure, pour tant que cela soit possible pour un Simili.
Le lendemain, Lexaeus se réveilla comme si une seule seconde s'était écoulée depuis qu'il s'était allongé sur le matelas de la chambre numéro 5 – il y en avait treize en tout, ce qui poussa le Simili à s'interroger. Pourquoi ce chiffre semblait-il revenir toujours autour de Xemnas, désormais leur Supérieur ? Même leur Organisation portait le chiffre XIII.
Il ne comprendrait jamais totalement les plans de Xemnas, faute de s'y intéresser. Faute d'avoir l'envie de s'y intéresser.
Il s'assit sur le lit – son lit, au demeurant, bien que cela n'ait aucune espèce d'importance dans le fond.
Une chambre blanche, impersonnelle, trop grande. Plié et posé sur un coin du bureau – blanc – se trouvait l'uniforme que Xemnas leur avait accordé à tous la veille. Il assurait que le long manteau de cuir serait plus pratique pour voyager entre les mondes, bien que les Ténèbres ne puissent espérer s'emparer d'un coeur qu'ils ne possédaient pas.
Une fois les habits revêtus, le Numéro V de cette nouvelle Organisation s'engouffra dans les couloirs interminables et identiques – à l'image des jours qui allaient s'écouler, désormais. Heureusement, il avait bonne mémoire et su retrouver la salle commune immédiatement, ce qui visiblement ne fut pas le cas de Xigbar, bon dernier. Zexion et le Supérieur non plus ne se trouvaient pas là.
Pour ce dernier, qui pouvait savoir ce qu'il faisait au juste ? Quant à Zexion, s'il possédait ne serait-ce qu'une once de ce que fut Ienzo, alors il ne pouvait se trouver qu'à un endroit…
Lexaeus se leva et entreprit de se remémorer le chemin de la bibliothèque, à peine entraperçue la veille lors de la découverte de la Citadelle. A présent qu'il y pensait, Zexion n'avait pas fait mine de s'y attarder à ce moment-là. C'était contraire à ses habitudes… A celles d'Ienzo, en fait, que ses pieds d'enfant guidaient d'ordinaire automatiquement vers les livres, même lorsque la situation ne s'y prêtait pas.
Il l'y trouva en effet.
La bibliothèque de l'Illusiocitadelle était immense et blanche. Cependant, il s'agissait là de la seule et unique pièce où l'on pouvait voir une touche de couleur, qui agrémentait la couverture de certains ouvrages – bien que la plupart restent austères, de teintes sombres, un peu tristes.
Si un humain normal avait été contraint de vivre là, se dit Lexaeus, il serait devenu fou en un rien de temps. Peut-être aurait-il commencé à leur ressembler. Son coeur aurait pâli et serait devenu transparent, fragile, sans émotions.
Zexion se trouvait près de l'une des immenses étagères, dans son manteau de l'Organisation un peu trop grand pour lui – il lui arrivait aux chevilles, et les manches tombaient sur ses doigts fins. Il possédait des cheveux plus foncés qu'Ienzo, un visage plus anguleux, des yeux plus durs.
Ienzo avait toujours eu des yeux étranges, peu expressifs, mais qui observaient leur environnement, l'absorbaient presque, témoignage de sa soif d'apprendre. Zexion, quant à lui… Eh bien, cette étincelle n'existait pas en lui, évidemment.
Lexaeus le rejoignit tout en jetant un coup d'oeil aux titres des livres. Nombre de ceux qui se trouvaient dans le Jardin Radieux figuraient également ici. Des livres de sciences, de philosophie, très peu de romans.
Le numéro VI paraissait perplexe, n'avait pas levé la tête vers le nouvel arrivant. Lorsqu'il fut à sa hauteur, il déclara, sourcils froncés :
« Ca ne me fait rien. »
Comme Lexaeus ne répondait pas, il expliqua :
« Être ici, ça ne me fait rien. Pourtant, quand il… Quand je… »
Il paraissait ne pas savoir comment exprimer sa pensée.
« Ienzo aimait les livres » finit-il par dire.
Son aîné hocha la tête, toujours sans rien ajouter, tandis que l'enfant prenait un livre au hasard sur les étagères et l'ouvrait au milieu, serrant une page entre deux doigts.
« Même ça... »
Le bruit de déchirure résonna dans la pièce. Est-ce qu'un coeur produisait le même son lorsqu'il s'arrachait à son enveloppe charnelle ?
Ienzo leva vers lui des yeux morts qui se voulaient sans doute interrogatif, avant de lâcher :
« Je voulais voir si ça me ferait encore quelque chose. Si au moins les livres m'intéresseraient.
-Tu ne voulais pas, non. Les Simili ne peuvent pas vouloir. »
Le garçon prit le temps d'y réfléchir.
« Ca n'a aucune importance. »
Il ne s'agissait que d'un constatation.
Ils regagnèrent la salle commune. Xemnas était revenu, mais pas seul. Deux nouvelles personnes portaient le manteau de l'Organisation. Les fantômes de garçons qu'Aeleus avait cotôyé sans vraiment les connaître. Ils venaient du Jardin Radieux et tentaient régulièrement de s'infiltrer dans le château d'Ansem – jeu stupide d'adolescents, sans véritable intention de nuire, mais tout de même agaçant. En tant que gardes, lui et Dilan les en expulsaient fréquemment. Il se rendit compte qu'il ne connaissait même pas leurs noms.
Celui aux cheveux rouges hérissés affichait un air nonchalant, décontracté, mais néanmoins feint, comme les expressions de la plupart des Simili autour de lui. L'autre, celui aux cheveux bleus, ne se donnait pas cette peine et ne montrait aucun semblant d'émotion à se trouver là. Lexaeus nota la cicatrice en forme de X qui lui barrait le front. Sans doute un cadeau des Sans-Coeurs avant que son humain d'origine ne rende l'âme.
Xemnas expliqua qu'il les avaient trouvé dans un monde lointain où ils avaient été transportés avec la perte du jardin Radieux, que cela confirmait ses théories. Lorsqu'un être perdait son coeur, et pourvu que celui-ci soit assez fort, il laissait derrière lui un Simili à apparence humaine. Xigbar s'en déclara flatté.
« Et lorsqu'ils sont à la lisière entre la puissance et la faiblesse, comme c'est le cas de beaucoup d'êtres... »
Il claqua des doigts. Une dizaine de créatures blanches et filiforme, sans visage, apparurent à ses côtés. Quelques Simili se mirent en position d'attaque. Le Supérieur souriait.
« Ne vous en faites pas, ils nous obéiront. Ces sont des Simili inférieurs, contrairement à nous, les Simili Maîtres. Grâce à eux, nous pourront atteindre nos buts. »
Leurs buts. Le seul dont il leur ait réellement parlait était celui de regagner un coeur, en complétant une entité nommée Kingdom Hearts. Il mentionna également une arme légendaire, la Keyblade. Seuls Vexen et Xigbar semblaient savoir de quoi il parlait. Tout ça n'avait rien de concret pour Lexaeus, ou même pour les autres membres.
Retrouver un cœur... C'était ce qui pouvait leur arriver de mieux, théoriquement. Et durant toutes ces années, ce serait leur seul et unique but. Au demeurant, cette quête occupait leurs existences vides de tout désir, de toute envie. Même celle de retrouver un semblant d'émotion, au fond, ne les tentait pas plus que cela. Enfin, cela valait sans doute mieux que de rester prostré dans un coin, immobile, et d'attendre la mort si elle daignait venir.
Parfois, il y pensait. A ce qu'ils seraient devenus sans les sombres machinations du Supérieur, qui les poussait à se battre pour quelque chose. Il ne savait pas pour les autres, mais lui ce serait sûrement isolé et n'aurait plus bougé. Le temps aurait passé, l'aurait sans doute enseveli sans même qu'il ne s'en rende compte.
Pouvaient-ils vieillir ? En observant Zexion, il eut confirmation que oui. Son corps d'enfant continua de grandir. Axel et Saïx, arrivés adolescents, devenaient eux aussi peu à peu des adultes, tout du moins physiquement. Et pourquoi pas ? L'absence d'un cœur n'empêchait pas un organisme de chair et de sang de mener sa vie. Une plante verte ne possédait pas de cœur, à sa connaissance, pourtant elle poussait quand même, jusqu'à se flétrir.
Durant la première année, ils firent surtout des missions de repérage de terrain. Ils exploraient les mondes à leur portée, souvent en équipe de deux, faisaient des rapports à Xemnas. Les Sans-Coeurs n'avaient pas encore envahis l'univers entier, mais ils en croisaient de plus en plus souvent. Parfois, ils revenaient dans des lieux déjà visités pour constater l'évolution de celui-ci ou, plus rarement, pour faire du nettoyage. Que les mondes plongent entièrement dans les Ténèbres ne leur seraient d'aucun recours, bien au contraire.
La routine s'installait au sein de leur petite communauté. La plupart faisaient semblant d'avoir un cœur, peut-être par habitude, un mécanisme routinier qui se serrait imprégné dans leurs muscles. Même les plus taciturnes tels que Xaldin, affichaient parfois un sourire sans vie, ou bien s'emportaient contre les membres les plus turbulents.
Celui qui se donnait le plus de mal était sans conteste Axel, le plus bruyant, davantage encore que Xigbar. Il se faisait régulièrement remonter les bretelles par Saïx, avec qui ses relations se dégradaient de jour en jour.
Saïx, le numéro VII... Alors qu'il s'éloignait de plus en plus de son ancien meilleur ami, il se rapprochait de façon étonnante du Supérieur, au point que celui-ci finit rapidement par le prendre comme second, au détriment de l'un des cinq autres Fondateurs. Techniquement, ce devrait être à Xigbar, le Numéro II, d'écoper de cette tâche. Lexaeus devait admettre que Saïx convenait bien mieux à une telle besogne mais cela restait étrange.
Seuls les Simili les plus taciturnes restaient dans leur chambre. Xaldin, Saïx et Vexen en particulier. Ce dernier restait en contact avec sa vie d'avant, non pas par les liens d'amitié ou d'autres sortes – même de son vivant, Even ne s'intéressait guère à ses pairs – mais par la science. Il entretenait quelques expériences dans sa chambre, que venaient observer de temps à autres les autres apprentis d'Ansem, sans grand enthousiasme – Axel s'y rendait aussi, pour farfouiller et mettre la pagaille, et Vexen faisait semblant d'être furieux.
Bien vite, Xemnas l'autorisa à expérimenter au sous-sol, qui servait surtout de « réserve » pour les Simili primaires, de plus en plus nombreux, qui résidaient dans la Citadelle et que l'on voyait de temps à autres aux étages supérieurs. Une pièce fut donc réaménagée en laboratoire. Plusieurs membres soupçonnaient le Numéro IV d'y perpétrer des recherches pour le compte du Supérieur. Lexaeus se demandait pourquoi ces fameuses recherches n'étaient pas menées au grand jour. Pourquoi cacher de telles choses, alors qu'ils avançaient théoriquement vers le même but commun ?
Oh, et puis peu importait, après tout. Même s'ils étaient manipulés, dans le fond, pourquoi s'en soucier ? Ce n'était pas comme s'ils avaient autre chose à faire, ou comme s'ils désiraient réellement quelque chose. Ils étaient juste... vides. Sans doute déjà morts.
Zexion avait lu quelque chose dans un livre de légendes à propos de cadavres qui reviendraient à la vie. Dans ces folklores, qui prenaient leurs sources dans divers mondes, les choses mort-vivantes développaient un goût prononcé pour le sang et s'en prenaient aux vivants. Cela ne correspondait pas vraiment à leur description, mais tous les mythes trouvaient leur source quelque part. Si ça se trouvait, ils n'était pas les premiers Simili à naître dans cet univers.
Des corps sans vie, hein ? Pas tout à fait. Ils pensaient et raisonnaient d'eux-même, pouvaient choisir leurs combats... Mais n'en ressentaient pas l'envie. Oui, d'un point de vue extérieur, peut-être paraissaient-ils dépourvus d'âme.
Au début, Lexaeus avait pris l'habitude de rester dans ses appartements lorsqu'il ne se trouvait pas en mission. Il s'asseyait sur son lit, bras croisés, et réfléchissait. Parfois, des souvenirs de la vie d'Aeleus refaisaient surface à la lumière de son esprit, mais ce phénomène se produisait de moins en moins. La mémoire de son ancienne vie lui échappait, semblait lui glisser entre les doigts lorsqu'il tentait de les invoquer. Il savait encore qui il avait été, évidemment, ainsi que certains événements majeurs... Mais les images, les sensations, les arrières-goûts d'émotions, tout cela s'évaporait peu à peu.
Alors, il finit par passer le temps dans la salle grise, avec les autres Simili plus « bavards ». On lui parlait peu, car il ne répondait que lorsqu'il le jugeait utile – les discussions futiles dans le but de faire semblant de vivre l'exaspéraient. Néanmoins, il appris par bribes qu'il n'était pas le seul à expérimenter cette fuite de souvenirs. Leur ancienne vie s'échappait peu à peu. Ce n'était peut-être pas plus mal. Ca ne leur appartenait pas vraiment.
Un jour, le Supérieur les amena dans une pièce baptisée symboliquement Preuve d'Existence. Les Simili ne laissaient pas trace de leur passage dans les mondes, disait-il. Plus rien, pas même un corps inerte. Ils disparaissaient, tout simplement. Personne ne broncha à cette révélation.
Néanmoins, Xemnas les poussa à bâtir en cette pièce leur propre stèle. Une « preuve » de... Eh bien, de leur existence, justement. Peu d'entre eux virent l'utilité, sur le moment. Xigbar déclara même qu'il ne comptait pas mourir de si tôt. Seul Axel semblait réjouit par l'idée de laisser une trace de supplémentaire « pour qu'on ne l'oublie pas ». Quant à Saïx, il ne contredisait jamais les ordres du Supérieur.
Ils le firent pendant leur temps libre, à des vitesses variables, les plus fainéants se la coulant douce au lieu de travailler à ce genre de futilités. Comme d'ordinaire, Lexaeus ne dit rien et s'exécuta en silence. Il ne voyait pas pourquoi faire autant de vacarme juste pour un simple morceau de pierre.
Il fut l'un des premiers à avoir terminé, avec Xaldin et Saïx. La stèle comportait son nom, son numéro, ainsi que son surnom : Le Héros Silencieux. Il ne savait pas d'où Xemnas tenait ces appelations. Héros, il ne savait pas trop. Silencieux, comparé aux autres membres de l'Organisation, oui, sans doute. Il aimait mieux ne pas parler pour ne rien dire.
Une gravure de son arme – un tomahawk plutôt imposant – ornait également la pierre, qui ressemblait nettement à une tombe. C'était assez grossièrement fait, puisqu'il n'avait aucune réelle pratique en dessin, mais tant que cela ressemblait... Etrangement, en contemplant sa preuve d'existence, le Simili ressentit une espèce d'apaisement. Il ne s'agissait pas d'une émotion, mais d'une espèce de bien-être physique, chose qui, cœur ou pas, demeurait agréable.
Il n'y revint pas avant les autres membres aient finis la leur. Il préférait ne pas être dérangé. Une fois les travaux finis, les autres membres n'y remirent jamais les pieds, ou presque. Pour eux, il s'agissait juste d'un monument sans vie, une sorte de tombe avant l'heure. Pour Lexaeus aussi.
Il ne ressentait aucun attachement émotionnel à cet endroit, évidemment. Cependant, il s'y sentait un peu mieux qu'autre part. Presque complet. Comme si, au fond, il n'en avait pas besoin, de son cœur. Il était déjà mort, depuis sa « naissance » ce fameux jour, et ce n'était pas grave, ni triste. Il ne lui manquait rien puisqu'il ne possédait rien à la base. Ce serait ridicule de se lamenter de son absence de cœur, lui qui n'en avait jamais eu. Certes, il se souvenait – de moins en moins – de ce que cela faisait, à travers Aeleus, mais ces sensations ne lui appartenaient pas. Son humain d'origine n'était pas lui, comme les parents d'un enfant ne sont pas cet enfant lui-même. La comparaison ne sonnait pas très bien, il n'avait jamais été un enfant, mais ce fut la plus approchante qu'il put trouver pour décrire le lien qui l'attachait toujours plus ou moins à cet être.
« Ainsi donc, c'est là que tu te caches, Numéro V. »
Lexaeus se retourna pour faire face à Zexion, toujours aussi formel. Il tenait un livre à la main, comme à son habitude, et penchait la tête, feignant la curiosité.
« Pas besoin d'être aussi formel, Zexion. »
De son vivant déjà, Ienzo avait tendance à employer un langage qui sonnait mal dans la bouche d'un enfant. Jamais de mots grossiers, non, mais un vocabulaire tellement riche et soutenu que même les apprentis d'Ansem s'entreregardaient parfois en haussant les sourcils lorsqu'il expliquait quelque chose – bien qu'il ne parle pas énormément, à vrai dire.
Le Numéro VI ignora son intervention et vint s'asseoir sur sa propre tombe, avant de reprendre :
« Tu es le seul à venir ici. Pourquoi ? Cet endroit n'est qu'un tas de pierre.
- Je ne sais pas. »
Il serait bien en peine de l'expliquer, en effet. Il apercevait l'autre à la périphérie de son champ de vision, mais gardait les yeux fixés sur sa stèle. Etrangement, c'était en présence de Zexion que les souvenirs refaisaient surface le plus vivement. Pas vraiment de façon agréable. Il savait qu'Aeleus n'aurait pas aimé voir cette espèce de fantôme d'enfant, avec ses yeux vides, sa posture trop droite, trop rigide, sa voix qui prenait de plus en plus des tournures arrogantes lorsqu'il daignait ouvrir la bouche.
Oh, Ienzo n'avait jamais été aussi enjoué que les autres enfants, bien sûr... Tant mieux, d'un côté. Si ce jeune Simili avait essayé d'agir comme un gamin ordinaire et turbulent, l'étrangeté de la chose en serait plus perceptible encore. Si Lexaeus avait eu un cœur, alors la présence de Zexion l'aurait mis mal à l'aise. Il pouvait presque affirmer qu'il n'aimait pas ça.
« Il doit y avoir une raison... »
Zexion cherchait toujours à tout savoir. Aucune question ne devait lui restait sans réponse.
Mais que pouvait-il lui répondre ? Que cela l'apaisait ? Ca sonnerait faux, dans sa bouche d'être Sans-Coeur.
« J'ai l'impression que c'est là qu'est ma place, finit-il par répondre.
-Ta place... »
Il y eut un silence.
« Nous n'avons pas de place, reprit Zexion. C'est absurde. »
Lexaeus hocha la tête.
« Ce n'est qu'une impression.
-Eh bien, ton impression est mauvaise. » déclara sèchement le Numéro VI avant de se lever et de quitter la pièce.
Il feignait plutôt bien la colère, Lexaeus devait l'admettre. Mais colère de quoi ? De le voir agir si stupidement ? Oui, comme les autres Simili, et malgré ses efforts pour ne pas tomber dans cette attitude ridicule, peut-être se rattachait-il aux derniers ersatz de son humanité.
Le temps passa.
Un jour, en découvrant un autre monde qu'ils nommèrent la Cité des Cloches, Saïx et Zexion revinrent avec un nouveau Simili Maître. Le jeune homme, à peu près quatorze ans, souriait de toutes ses dents. Il avait des cheveux cendrés relevés sur son crâne et des yeux vert d'eau. Le binôme était tombé sur lui alors qu'il chantait dans une taverne afin de gagner un peu d'argent. Ils avaient aussitôt perçu son absence de cœur et l'avaient emmené. Le garçon avait un peu bronché, mais s'était relativement laissé faire.
Demyx, fut-il nommé. Le Numéro IX, la Mélopée Nocturne qui achevait ses ennemis à coup de musique... Lorsqu'il se donnait la peine d'attaquer. Avec le temps, il s'avéra joyeux mais fainéant, préférant jouer de son sitar plutôt que de s'en servir pour abattre des Sans-Coeurs, ne rendant jamais ses rapport et s'avérant totalement inutile en exploration. Mais on devait lui reconnaître une chose : il avait battu Axel dans l'art de faire semblant. Il semblait presque humain, pour peu qu'on n'y regardait pas de trop près.
Le temps passait et les choses demeuraient figés, dans cette Citadelle presque hors du temps. Les jours se ressemblaient, et pas l'ombre d'un changement. Le cœur que Xemnas leur avait promis ne pointait pas le bout de son nez, ni même ce fameux Kingdom Hearts.
Xemnas, d'ailleurs, ne semblait pas faire grand-chose. Toutes les tâches de commandement étaient déléguées à Saïx. En dehors des rares réunions – lorsqu'ils accueillaient un nouveau membre par exemple – on pouvait ne pas apercevoir l'ombre du Supérieur durant plusieurs jours. Lorsque Xigbar ou Axel l'interrogeaient, Saïx répondait que leur maître était occupé à des affaires importantes.
Parfois, lorsque Lexaeus en avait assez de demeurer à Preuve d'Existence, il vagabondait du côté de la bibliothèque, souvent après s'être assuré que Zexion ne s'y trouvait pas. Quelques fois néanmoins, il lui arrivait de le croiser.
Ce jour-là, il tentait de se concentrer sur un ouvrage de philosophie qui traitait de la vie après la mort. Les Simili ne lisent pas souvent pour leur plaisir, Zexion mis à part. Ils avaient du mal à s'absorber dans un livre quel qu'il soit et cela leur demandait toute leur attention. Après tout, ils ne pouvaient pas réellement s'y intéresser comme un individu normal le ferait. Même le Numéro VI semblait avoir cette difficulté, mais il évitait d'en parler.
Alors que Lexaeus pensait justement à lui, Zexion entra dans la pièce. Il avait désormais l'apparence d'un garçon de 13 ans, et sa voix commençait de muer. Il grandissait, mais son visage restait fin et sa carrure étroite. Il n'était pas un attaquant physique, cela se voyait. Au contraire, il possédait un pouvoir qui lui seyait comme un gant.
Le garçon tenait déjà un livre à la main, s'assit dans un fauteuil en face de Lexaeus et entreprit de lire. Le Numéro V se demandait s'il devait partir. En général, Zexion aspirait à être seul.
« Reste ici » fit la voix hautaine du gamin.
Ils échangèrent un regard vide par-dessus leurs ouvrages respectifs.
« Tu quittes toujours la pièce lorsque j'entre. »
Lexaeus ne répondit pas.
« Tu m'évites. »
Un nouveau silence. Il ne pouvait pas prétendre le contraire, mais ne pouvait pas expliquer son attitude non plus.
« Je pensais pourtant que nous pourrions être alliés... poursuivait Zexion.
-Nous le sommes » affirma-t-il.
Un sourire se dessina sur le visage aux traits encore à demi enfantins.
« Vraiment ?
-En tant que membres de l'Organisation...
-Tu es pourtant plus intelligent que ça, Lexaeus. »
Ce dernier fronça les sourcils. Où voulait-il en venir, au juste ?
« Si tu passais plus de temps parmi nous, tu le saurais, enchaînait le garçon. L'Organisation est loin d'être une confrérie. Il y a des choses qui se préparent. Lentement, bien sûr. La plupart ne s'en rendent pas encore compte. Peut-être Xigbar et Xaldin, un peu. Axel et Saïx, c'est sûr. Ces deux-là mijotent quelque chose.
-Ils ne s'adressent plus la parole depuis longtemps » protesta-t-il.
Les deux anciens amis s'étaient bien vite éloignés, une fois entrés dans l'Organisation. Saïx s'était rapproché du Supérieur, pour bien vite gravir les échelons du pouvoir. Quant à Axel, il subissait souvent des remontrances pour sa paresse, surtout depuis que Demyx exerçait son influence larvaire sur lui.
« C'est plus complexe que ça. J'ai des doutes sur la prétendue fidélité de Saïx envers le Supérieur. »
Aussitôt prononcées, il balaya ses paroles d'un geste désinvolte de la main.
« Ce n'est pas de ça que je veux te parler.
-Fais vite, alors.
-Comme si tu avais autre chose à faire... fit Zexion d'un air sarcastique. Quoiqu'il en soit, l'Organisation est fragmentée. Elle va éclater. Pas tout de suite, sans doute, dans longtemps, mais les conflits finiront par éclater. Je le sens. C'est comme avant un orage. »
Zexion possédait un double pouvoir, si l'on pouvait dire. En plus de son don sur son élément, il pouvait détecter ce qu'il appelait des odeurs. Celle des Ténèbres, notamment, ainsi que la véritable essence des gens. Et au fond, quoi de plus logique, pour un maître des illusions, que de pouvoir déceler celles-ci ?
Lexaeus ferma les yeux, sourcils froncés. Il n'avait rien vu, effectivement. Quelle importance ?
« Et après ? Pourquoi me dis-tu cela ?
-Tu es quelqu'un d'intelligent, Lexaeus. J'ai besoin d'alliés tels que toi. Des alliés que je connais. Que je connaissais, je veux dire. Dans ma vie d'avant.
-Tu n'avais pas de vie, avant, soupira le Simili. Nous n'étions personne.
-Tu vois ce que je veux dire. Je te parle d'Ienzo.
-Je n'aime pas ce genre de raccourcis. Nous ne sommes pas nos humains d'origine.
-Aimer ? C'est toi qui me morigène sur ce genre de détail, et pourtant, tu emploies un mot que tu ne peux même plus comprendre ! »
En effet, le terme lui avait échappé. Réflexe de langage. A vrai dire, parfois, même lui était fatigué de trouver les mots justes, qui collaient avec son absence de coeur. Un Simili ne pouvait pas aimer quoique ce soit, et par conséquent, ne pouvait pas non plus « ne pas aimer ».
« Pas plus que toi, rétorqua Lexaeus.
-Dois-je en déduire que tu refuses ? »
Non.
« Je ne vois pas l'intérêt de ces futilités.
-Quand le temps viendra, il faudra que nous soyons groupés pour ne pas nous faire marcher sur les pieds par les autres. Nous sommes deux Fondateurs, Lexaeus. Nous nous connaissons. J'ai confiance en toi.
-Je ne te connais pas, asséna-t-il en fixant Zexion dans les yeux.
-Vraiment ? » déclara celui-ci posément.
L'espace d'un instant, Lexaeus crut voir l'image d'un petit garçon humain se superposer à cette enveloppe vide, à cette farce de la nature. Un garçon qu'il connaissait, plein de curiosité, semblable et pourtant imperceptiblement différent au Simili qui lui faisait face.
« Tes maudites illusions...
-Ne fais pas semblant d'être troublé, Lexaeus. Cela ne te va pas.
-Pourquoi rentrerais-je dans votre jeu ? Si vous vous voulez détruire l'Organisation, mettre à mal notre but, grand bien vous en fasse. Je regarderai.
-Nous accomplirons notre but tout de même, répondit Zexion comme s'il s'attendait à cette rebuffade. Et justement, lorsque nous aurons un cœur... Pour l'instant, cela ne compte pas pour nous, mais à ce moment-là, nous serons heureux d'avoir su garder auprès de nous les personnes qui comptent réellement, plutôt que des amitiés factices. Tu ne crois pas ? »
Lexaeus se mura dans un silence pensif.
Les personnes qui comptent réellement... Ienzo comptait pour Aeleus. Comme un frère ou un fils, quelque chose entre les deux. Mais Lexaeus, le Simili... S'il avait eu un cœur, son esprit lui disait qu'il aurait détesté Zexion. Mais serait-ce réellement le cas ?
Il songea à Saïx et Axel. Etait-ce cela qui les poussait à conserver des liens malgré leur entente plus que discutable ? L'espoir d'une amitié retrouvée après que leur cœur soit revenu de sa longue absence ? Vision logique des choses, maintenant qu'il y pensait.
« Tu n'es pas obligé de me répondre tout de suite, signifia Zexion en se replongeant dans son livre. Penses-y. L'offre tiendra toujours dans trois mois ou plus. Ce n'est pas comme si le temps signifiait quelque chose pour nous, n'est-ce pas ? »
Pas tout à fait vrai. Leurs corps vieillissaient, et par conséquent chaque jour passé sans avoir retrouvé leur coeur était à jamais perdu. Mais cela ne dépendait pas d'eux. Alors, oui, ils avaient tout leur temps…
Il passa une partie de la nuit à Preuve d'Existence, fixant sa stèle, puis celle de Zexion, conjointes. L'avantage lorsqu'on n'avait pas de coeur, c'était que l'on parvenait plus facilement à démêler ses pensées.
Zexion était venu le voir au nom de l'amitié perdue qu'ils pourraient retrouver. Voilà une vision bien froide des émotions, mais pour un Simili… Au fond, peut-être avait-il raison. Seulement, Lexaeus n'était pas certain de l'apprécier, même une fois son coeur retrouvé. Il croyait se souvenir que les sentiments ne se contrôlaient pas. Ou peut-être que si ? Peut-être ne s'en rendait-on tout simplement pas compte lorsque l'on en possédait ? Vexen affirmait qu'il était facile de manipuler un coeur, pour peu que l'on sache s'y prendre…
Et cette histoire de complots pas encore formés, mais qui éclateraient… Xemnas ne s'occupait pas de son Organisation, préférant vagabonder à il ne savait quoi. De plus, il les manipulait clairement. Lexaeus commençait à se demander s'ils apercevraient un jour ce fameux Kingdom Hearts dont il leur parlait tant.
Après tout, pourquoi les mettre tous dans cette position, leur faire perdre leur coeur – volontairement, Lexaeus n'en doutait pas – juste pour les aider à le retrouver ensuite ? Question facile à se poser, pour peu que l'on grattait un peu sous la surface – ce que la plupart d'entre eux ne semblaient pas vouloir faire. Lexaeus, lui, s'était dit qu'après tout, cela valait toujours aussi bien qu'autre chose. La proposition de Zexion valait tout autant. Et sur le long terme, peut-être…
Le lendemain, après sa mission, il alla s'installer avec les autres, dans la pièce commune – la Zone Grise, comme on l'appelait. L'atmosphère y aurait presque été conviviale. Vexen ne se trouvait pas là. Le Supérieur non plus. Demyx grattait quelques notes de sa guitare, pendant que Zexion et Xaldin jouaient aux échecs. Axel et Xigbar tenaient une conversation animée sur le dernier monde qu'ils avaient visité ensemble, semblant rire à quelque chose qu'ils avaient aperçu là-bas. Saïx restait dans son coin, tout comme Lexaeus, à observer. Bien sûr, cette impression de froideur et de faux-semblants entachait le tableau.
Le surlendemain, et le jour d'après, Lexaeus s'obligea à subir cette farce – ce n'était pas comme si cela pouvait réellement l'importuner, mais… Si. Cela le dérangeait. Ou plutôt, il ne comprenait pas. Pourquoi s'efforçaient-ils tant à faire semblant ? Agissaient-ils par pur mécanisme, robots bien huilés par des années d'habitudes ? Des pantins jusqu'au bout, qui ne pouvaient pas s'empêcher… Non. Il ne s'agissait pas de cela.
Personne ici ne possédait de coeur, et tout le monde le savait. Qui espéraient-ils berner ? Eux-même ? Pourtant, ils se répétaient, presque comme une blague, leur incapacité à ressentir quoi que ce soit.
Et puis, un nouveau membre arriva. Luxord, du Pays des Merveilles.
Au début, il était… Eh bien, comme un Simili devrait l'être. Placide. Il exécutait ses missions sans broncher et, lorsqu'il terminait, s'asseyait dans un canapé et manipulait machinalement ses cartes à jouer, sans jamais adresser la parole à personne. Quelquefois, un sourire étrange fleurissait sur ses lèvres. Quelque chose d'un peu sinistre, de sans vie, comme s'il se forçait à afficher une quelconque émotion faciale, ou qu'il aurait oublié comment faire.
En rentrant de mission, un jour, il s'enferma dans sa chambre, et fit de même les jours qui suivirent. Demyx, qui vivait dans la pièce avoisinante, affirmait qu'il faisait les cent pas toute la nuit, et déclara « s'inquiéter » pour lui, ce qui lui valu de nombreuses boutades de la part de ses camarades dépourvus de coeur.
Et un beau jour, ce petit manège s'arrêta. Le Numéro X – Joueur du Destin – s'intégra dans leur étrange communauté. Il arborait un air relativement joyeux, un peu mystérieux, une voix douce, parlait sans cesse de hasard, de destin, d'autres métaphores philosophiques. Il apprit également de nombreux jeux de cartes – avec ses armes de combat, d'ailleurs – aux autres membres, surtout Axel et Xigbar, un peu à Xaldin et Demyx – ce dernier se plaignant que c'était trop compliqué et qu'il ne parvenait pas à suivre, il abandonna rapidement.
Lexaeus s'interrogea sur ce brusque revirement, bien entendu. Il ne comprit pas – pas encore. Néanmoins, il sentait qu'il s'approchait de la clé pour appréhender cette étrange comédie qu'ils jouaient tous plus ou moins consciemment. Au départ, semblait-il, Luxord ne désirait pas prendre part à ce semblant de vie. Et puis il avait joué le jeu. Comme ça, d'un coup.
Un an supplémentaire s'écoula.
Zexion rappelait de temps à autres à Lexaeus que son offre tenait toujours, sans se montrer trop insistant.
« Pourquoi ne vas-tu pas demander à Vexen ?
-Trop borné. Il est le pantin de Xemnas, sans doute davantage que Saïx. Je ne lui fais pas confiance. Enfin… Disons que je pourrais savoir me servir de lui si l'occasion se présentait.
-Xaldin ?
-Pas encore. J'attends un peu.
-Pourquoi cela ? »
Il haussa les épaules et changea de sujet.
« Les membres les plus récents ne font pas confiance aux Fondateurs, tu sais ? Quand je dis récents, en vérité, c'est à partir du Numéro VII. Ceux qui n'étaient pas là avant. Ils se méfient. C'est peut-être ça qui fera bouger les choses…
-Tu envisages une révolution.
-Rien d'aussi grave pour le moment. Juste une tension. Nous verrons. »
Tout cela n'intéressait pas Lexaeus. Rien ne pouvait réellement l'intéresser. Que les autres se fassent la guerre sans lui… Et qu'est-ce qu'il ferait, ensuite, lui, si l'Organisation n'existait plus ?
Cela ne l'intéressait pas, mais il fallait tout de même qu'il se penche sur la question.
La vérité était qu'il se heurtait à un mur chaque fois qu'il se la posait. Que voulait-il faire ? Rien, évidemment. Qu'aurait-il voulu faire s'il avait eu un coeur ? La question le tenaillait, mais comment aurait-il pu en connaître la réponse ?
Xemnas disait que les Simili pouvaient mieux manipuler les sentiments des gens, parce qu'ils en connaissaient les effets sans en subir les conséquences. Ils savaient ce que faisait d'avoir un coeur, en conservait le souvenir.
Pas lui. Lui, il avait oublié.
Ce soir-là, il se rendit à Preuve d'Existence, tenta de se rappeler. Aeleus avait été heureux, à certains moments de sa vie. En fermant les yeux, Lexaeus pouvait s'en souvenir presque dans les moindres détails, jusqu'au temps qu'il faisait à tel instant, la voix de telle personne. Souvenirs dépourvus de la moindre saveur. Dès qu'il tentait d'en invoquer les sensations, il se trouvait au pied d'un abîme sans fond, vide. Il avait oublié.
« Ah, tiens, salut ! »
Demyx se tenait debout derrière lui, grand sourire aux lèvres et sitar en main. Ce garçon savait se faire plus silencieux qu'une ombre, lorsqu'il le souhaitait...
« Tu viens là souvent ? Je t'y ai jamais vu.
-Non.
-C'est tout ce que t'as à dire ?
-Oui. »
Il ne savait pas bien pourquoi il ne se levait pas pour sortir. Malgré ses questions intempestives, Demyx ne le dérangeait pas outre mesure.
Le garçon poussa un long soupir et s'assit sur la stèle de Vexen, sans aucune considération – puis il n'avait pas à en avoir, après tout, même si le Numéro IV se serait sûrement « fâché » en l'apprenant.
« T'es pas très bavard comme gars, hein ? »
Quel génie.
« Après toutes ces années, tu ne le remarques que maintenant, Numéro IX ? »
Il n'avait pas pu empêcher la répartie.
Pour réponse, le dit Numéro IX se pencha sur son instrument de musique, gratta quelques accords, tout en continuant de parler.
« Tu souris jamais, t'es presque toujours tout seul, tu parles pas, t'as aucun loisir... énuméra-t-il. Je sais pas comment tu fais, franchement... T'es tellement, euh... Je trouve pas le mot, mais tu vois.
-Stoïque ?
-Voilà, t'es ça ! fit l'autre en le désignant du doigt avec un grand sourire.
-Nous sommes des Simili » se contenta de répondre Lexaeus.
Le stoïcisme, c'était leur lot, même si la plupart d'entre eux tentait de n'en rien laisser paraître. Une perte de temps.
« Et puis ? » demanda Demyx en continuant de jouer de la musique.
Il parlait d'un ton léger, presque enjoué. Pour peu, Lexaeus l'aurait crû humain.
« Et puis quoi ?
-Pourquoi ça voudrait dire qu'on devrait pas profiter de la vie ?
-Nous n'avons pas de cœur.
-Et puis ?
-Je ne vois pas où tu veux en venir. »
Demyx haussa les épaules.
« Ben j'veux dire... Ca fait quoi ? On nous dit qu'on a pas de cœur, ok. Moi je les crois, Xemnas et compagnie, s'ils veulent, mais je vois pas en quoi ça devrait être un handicap.
-Certains prétendent que c'est une force, concéda Lexaeus. Sans cœur, nous sommes des êtres plus rationnels. »
En théorie.
« C'est pas ça que je veux dire ! protesta Demyx. Tu sais, avant que vous me trouviez, vous là, l'Organisation, j'ai vécu quelques années sans avoir de cœur. Au début j'étais... Ce devait être triste à voir, en fait. J'étais stoïque, comme tu dis. Je parlais même pas. Je faisais le nécessaire pour continuer à survivre et voilà. »
Il eut un petit rire avant de reprendre :
« J'me souviens plus de cette période. C'est un peu le flou là-dedans, une espèce de brouillard. Je savais plus qui j'étais, ni que je vivais, ni rien. Puis un jour j'ai vu quelque chose qui m'a fait penser à ma vie d'avant. Un bête instrument de musique dans une vitrine. Je passais tous les jours devant ce magasin, devant ce luth, sans le voir. Puis un jour mes yeux se sont fixés dessus. Je me suis souvenus de choses et de comme c'était bien... avant. »
Il marque une pause, perdu dans ses pensées. Lexaeus écoutait attentivement.
« Je savais pas à l'époque que ces souvenirs m'appartenaient pas vraiment, tu vois ? Je m'en doutais un peu, mais je savais pas vraiment, vu que personne pouvait m'expliquer. Enfin bref. Quand je me suis rappelé, je me suis dit que... Que merde, quoi, j'avais pas à être cette loque dégueulasse qui hantait les villes, que j'étais différent mais que je pouvais être comme eux, de l'extérieur pour le moment, et qu'après je verrais bien. Et l'Organisation m'a trouvé, vous m'avez tout expliqué, que j'avais pas de cœur, que c'était pour ça que j'étais pas comme les autres et tout le tralala. J'ai dit ok. J'me suis dit que ça m'aiderait de voir d'autres comme moi, voir ce que vous faisiez pour pas devenir fous. Et toi... Toi, j'ai jamais compris.
-Compris quoi ?
-Comment tu faisais pour pas péter un boulon. Sérieux mec, tu fais peine à voir.
-Tu ne peux pas ressentir de peine. »
Nouvel haussement d'épaules, puis le musicien se mit à jouer. Un véritable air, cette fois, mais assez bas pour que la conversation se poursuive.
Lexaeus n'était pas intrigué. Mais la question le taraudait, alors il la posa.
« Où veux-tu en venir avec cette histoire ? »
Le jeune homme abhorra l'air satisfait de celui qui attendait qu'on lui demande ça.
« Tu trouves pas que c'est un peu bancal, la théorie du patron ? S'insérer un cœur, même pas le nôtre, dans notre poitrine, et puis voilà, hop ? Si on trouve un cœur, qui nous dit que nos sentiments vont revenir du même coup ? Qui nous dit que c'est ça qu'il faut faire ? »
Personne. Xemnas. Xemnas le leur disait. Et au fond, ils ne pourraient savoir qu'en essayant. Quel autre choix restait-il ?
« Que proposes-tu, dans ce cas ? » questionna Lexaeus.
Demyx lui sourit comme s'il détenait le secret de la vie. Pas d'une façon prétentieuse comme Zexion, mais plutôt comme s'il s'agissait d'un secret excitant qu'il fallait partager.
« Je me suis toujours dit 'Vis, et le reste suivra.'. Si on agit comme si on était déjà heureux, le bonheur viendra de lui-même plus tard. Tu vois où je veux en venir ?
-Oui. »
Il voyait. Et il revoyait Luxord, les premiers jours. Il revoyait Demyx, imaginait cet être à peine vivant qu'il lui avait décrit, et qui était devenu ce jeune homme apparemment enjoué.
« Très bien alors ! s'exclama la Mélopée, aussi nonchalant que s'ils venaient de parler de la pluie et du beau temps. Bon par contre, j'étais venu ici pour jouer un morceau, à la base. Ca m'arrive quand Saïx me chasse de la salle commune parce que je fais trop de bruit. Tu peux rester, si tu veux. »
Il resta.
La moitié de la nuit s'écoula sans paroles, juste avec ces quelques notes entre eux.
Lexaeus réfléchissait, mais ses pensées tournaient en rond dans son esprit. Cela n'avait rien de rationnel, mais il avait déjà pris sa décision.
Au bout de quelques heures, il se leva.
« Tu pars déjà ? » demanda posément Demyx.
Il hocha la tête, se disant que si le Numéro IX passait régulièrement la nuit ici, pas étonnant qu'il flemmarde autant en journée.
« J'ai une mission importante demain.
-Importante, répéta Demyx d'un air amusé.
-Juste une question.
-Je t'écoute.
-Ca a fonctionné, pour toi ? »
Le sourire du Simili s'agrandit, puis il se remit à gratter les cordes de son sitar. Pour une fois, ce serait lui, le moins bavard des deux.